À la fin du siècle dernier, sous l’impulsion du regretté Professeur Cheikh Anta Diop, se manifestait un grand intérêt en Afrique pour les études égyptologiques. Les Africains ont voulu opérer une reprise des valeurs spirituelles, culturelles, artistiques et les acquis scientifiques de l’Égypte ancienne, en vue de bâtir et instaurer un nouvel humanisme, pour l’Afrique et même pour le monde. L’objectif de l’École égyptologique africaine, issue en ligne droite des travaux et enseignements de C.A. Diop, était d’atteindre une Renaissance africaine.
Dans l’étude de la formation de la civilisation pharaonique, la question du peuplement constitue un des chapitres qui a déchaîné le plus de passion. En effet, à propos des cultures néolithiques et même prénéolithiques de l’espace saharo-maghrébin, H.J. Hugot fait remarquer que s’agissant de la paternité raciale de leurs auteurs, les Blancs ne veulent pas laisser la priorité aux Noirs. D’où le combat de C.A. Diop, Th. Obenga et B. Sall…
En poursuivant ce combat de la Renaissance africaine, deux thèmes mobilisent les chercheurs du Centre Sed Le premier porte sur la continuité culturelle en Afrique depuis l’époque de l’Égypte ancienne jusqu’à la colonisation européenne. En partant de l’hypothèse que la culture africaine n’est pas une création spontanée, il est désormais nécessaire et utile pour l’historiographie africaine d’étudier tous les aspects des rapports entre les anciennes civilisations du Nil et celles du reste de l’Afrique subsaharienne précoloniale, car toutes ces civilisations constituent un seul et même univers culturel. En dépit de la distance géographique et temporelle, les similitudes entre l’Égypte pharaonique et l’Afrique noire précoloniale restent frappantes. Certains chercheurs évoquent, pour expliquer ce phénomène, les lois de convergence et précisent qu’en des endroits et circonstances semblables, les mêmes outils et ouvrages artistiques, par exemple, peuvent être confectionnés.
Réfutant, pour notre part, la thèse fondée sur l’emprunt ou le hasard dans l’explication des similitudes culturelles, nous retenons celle de l’héritage culturel. Les éléments qui ont éveillé notre prise de conscience abondent. Évoquons, à titre d’exemple, le cas de H.M. Stanley qui, dès son entrée en contact avec l’Afrique centrale, fut frappé par des ressemblances qu’il constata entre les instruments de musique, les couteaux, les appuie-nuques, les cuillers, les étoffes des autochtones et les objets fabriqués par les habitants de l’ancienne Égypte. Au cours de la guerre de 1914-1918, les hommes de troupes de R. Grauwet ont déterré, par hasard, une statuette d’Osiris dans la province du Katanga, en République démocratique du Congo. Par ailleurs, C.A. Diop a noté dans l’un de ses écrits que grâce aux fouilles archéologiques, on a trouvé des perles d’or égyptiennes de l’époque romaine dans des tombes anciennes, près de Lusaka, en Zambie et qu’une autre statuette d’Osiris avec cartouche avait été trouvée au sud du Zambèze.
Après un séjour d’études chez les Mangbetu, J.Tercafs insistait sur la signification anthropologique du rôle et de l’utilisation des œuvres artistiques en Égypte et le Congo belge. Après avoir vérifié la thèse de L. Homburger sur les liens entre l’ancien égyptien et les langues du reste de l’Afrique, le R.P. Hulstaert montre qu’il existe une parenté entre la langue de l’Égypte pharaonique et celles du Congo/Kinshasa. Enfin, dans une étude consacrée aux Fangs du Gabon, le R.P. Trilles démontre que les termes qui répondent chez ces derniers aux croyances religieuses trouvent leurs équivalents en égyptien ancien. Mais c’est Th. Obenga, disciple de C.A. Diop, qui a apporté un élément décisif au débat en démontrant l’existence d’une parenté génétique entre l’égyptien ancien et les langues modernes de l’Afrique subsaharienne.
Le deuxième thème porte sur la présence égyptienne et africaine en Amérique précolombienne et les survivances de cette présence. Les spéculations sur la présence ancienne des Noirs d’Afrique en Amérique datent de la conquête espagnole et la naissance de l’égyptologie a engendré la question de l’influence égyptienne en Amérique précolombienne.
La découverte de têtes négroïdes et des statuettes égyptiennes de l’Amérique centrale permet désormais de faire des comparaisons. On a, en effet, découvert des milliers de statuettes américaines antiques en terre cuite dans des tombes mexicaines. A. von Wuthenau a réuni une collection d’environ 1.700 statuettes en terre cuite, classées selon les groupes ethniques en regroupant un nombre considérable de Sémites, de Noirs, de Maures et d’Égyptiens, mais on reconnaît également des Celtes et d’autres Européens d’après les physionomies.
Les autres vestiges archéologiques attestant la présence négroïde dans l’Amérique ancienne sont les bas-reliefs en pierre reliés à la première phase d’une culture américaine contemporaine de la dernière période olmèque et très fortement influencée par elle (Monte Alban, au sud-est de la Venta). Dans le temple des danzantes (Silhouettes dansantes), on trouve sur une plate-forme dallée, contemporaine de la première occupation du site, une série de silhouettes en bas-reliefs de pierre. Dans la partie sud-est de Veracruz, les archéologues ont exhumé un bas-relief égyptien sculpté. A Monte Alban, on trouve des sculptures qui ressemblent au sphinx et au dieu égyptien Râ. Plusieurs fouilles archéologiques ont fait découvrir les pyramides et les momies en Amérique; ce qui évoque des rites funéraires.
Enfin, la botanique permet de suivre la circulation de certaines plantes, notamment le coton, la banane, la calebasse et le tabac, car des traces du monde antique ont également été conservées en Amérique et H.Sudhoff pense que les Africains noirs auraient accompagné les Phéniciens sur leurs vaisseaux, alors que L. Frobenius, anthropologue et grand connaisseur de l’Afrique, a affirmé, le premier, que l’Amérique avait été découverte par les Africains noirs. Cette thèse est corroborée par de nombreuses et très anciennes représentations des Noirs dans l’art précolombien (XII ème siècle av. J.-C.).